LA ROMANCE D'ÉLISABETH

LA ROMANCE D'ÉLISABETH

LA ROMANCE D’ÉLISABETH

Elisabeth a le cœur lourd en cette journée d’hiver.

La journée au travail n’a pas été sereine et plus les années passent, moins elle supporte l’arrivée de nouveaux collègues, des jeunes qui pourraient être ses enfants, voire ses petits-enfants, qui ont tout vu, tout su. Elle a parfois l’impression d’être devenue une étrangère dans son propre univers professionnel, dans sa propre vie familiale, et dans sa vie tout court.

Souvent elle s’interroge sur son avenir, sur l’envie de le vivre et elle songe aux années passées, aux années vécues ou plutôt survécues et surtout, elle pense avec nostalgie à l’amour perdu.

Son cœur l’oppresse soudainement.

Sa voiture est garée plus loin et elle presse le pas pour se mettre au chaud. Il fait froid et il neige comme ce lointain jour.

Elle ne pourra jamais oublier cette journée de février où ses rêves de jeunesse se sont fracassés contre la réalité de la vie, la traîtrise du sort, la douleur de la mort.

Assise derrière son volant, elle devrait déjà mettre le contact et démarrer mais tout en elle s’y refuse.

Les souvenirs refont surface et lui brouillent le regard, affolant son pauvre cœur de vieille fille quinquagénaire qui n’a pas vu passer le temps.

Les années ont défilé bien trop vite. Elle n’a pas d’enfants, plus de mari depuis bien longtemps.

Elle n’a vécu ces trente dernières années que pour son travail et pour ses chats, oubliant de vivre réellement comme si sa vie à elle aussi, s’était arrêtée ce jour tragique de février.

Tout lui revient en mémoire et elle se met à parler à son rétroviseur comme si son cher Edouard pouvait encore l’entendre.

« Demain ? Demain, tant de choses étaient prévues ! finaliser ton divorce, vendre ta maison, restructurer ta société et réaliser ton rêve de vivre comme un artiste, en faisant vibrer le son de ta trompette magique, cette trompette qui vibre encore dans mes rêves endeuillés.

Demain ? que de projets en vue !

Notre histoire était tellement récente et fusionnelle, j’étais encore sous le coup de la énième trahison de celui pour qui je m’étais battue pendant des années, ce mari volage et infidèle.

Demain ? nous n’y pensions même pas finalement, tellement pris dans cet amour qui nous était tombé dessus sans calcul, sans fard, tout bêtement.

Tu voyais en moi une petite fille de 23 ans malheureuse et du haut de tes 33 ans, tu avais juste voulu me changer les idées car tu me voyais chaque soir, si triste, venir oublier pendant quelques heures, ma souffrance auprès de Nicole mon amie.

Tu m’avais invitée au restaurant, au cinéma, à faire des promenades en moto avec toi, et le déclic s’est passé.

A quel moment, je ne sais plus après toutes ces années mais nous avons sombré tous deux dans un amour passionnel et fusionnel. Je m’en étais rendue compte et tes amis aussi car toi qui vivais la nuit comme un joyeux drille sans attaches, tu les quittais pour être avec moi ou bien tu m’emmenais partout avec toi comme si j’étais ta mascotte, ton fétiche, ton eau de vie (non alcoolisée évidemment), ton eau de feu (sacré comme l’amour qui nous dévorait à l’intérieur du cœur).

Demain ? oui Demain ?

Mais il n’y aura jamais de demain car le destin sans doute jaloux de la force et de la pureté de cet amour qui nous unissait est venu envoyer tous nos rêves dans la corbeille du néant et de la douleur éternelle.

C’était il y a 30 ans aujourd’hui, c’était un lundi de février.

J’étais terrassée par un mauvais rhume et tu avais prévu pour cette journée, un repas avec tes amis. Tu ne voulais pas que je prenne froid sur ta grosse moto, ce joujou dont tu étais si fier, ton bolide rouge.

C’est si loin et pourtant si précis dans ma mémoire, je revois encore ce vieux juke-box dans le coin du café.

Pour me taquiner, tu faisais passer une chanson de Dorothée (Dorothée enfin !)

« Oh la menteuse, elle est amoureuse » ♫ ♪

Souvenirs lointains et toujours présents.

Ce lundi là, tu es parti comme prévu le matin et moi j’ai tourné dans la maison vide. Les heures ont passé mais je ne me suis pas inquiétée

Je me revois, regarder par la fenêtre et me demander pourquoi tous les voisins sont là et regardent dans la direction de la maison.

J’ai regardé ma montre mais c’est bizarre, elle s’est arrêtée à 14 heures 10 alors qu’en fait il est presque 17 heures.

Certainement la pile qui a lâché!

Et puis, et puis …

On sonne à la porte : c’est ton voisin le plus proche et avec le temps j’ai oublié son nom qui m’apprend l’impensable, l’innommable !

Mon Dieu, dis-moi que ce n’est pas vrai, je suis en train de faire un cauchemar, je vais me réveiller, ce n’est pas possible !

Pas toi, pas toi, tu ne peux pas être mort, ce n’est pas possible, j’entends encore ton rire résonner dans la nuit, je vois tes yeux pétillant de vie.

Je te revois me dire qu'une voyante t’a prédit que tu mourrais en avion et que par conséquent ne prenant jamais l’avion, tu ne risques rien.

Pas toi, non pas toi, ce n’est pas possible, cela ne peut pas être vrai !

J’ai su que tu avais quitté tes amis pour me retrouver et que tu as pris la route au volant de ton bolide.

Il faisait froid, il neigeait !

Tu n’as pas vu le camion qui sortait de la station d’essence et qui t’a coupé la route, lui ne t’a pas vu à cause du pont et toi à la vitesse où tu roulais tu as voulu l’esquiver mais tu es allé t’encastrer sous l’attache remorque du camion.

Ton casque s’est brisé en plusieurs morceaux et on m’a dit que tu es mort sur le coup

Il était 14 heures 10 !

Alors, alors malgré mes 23 ans et par la force de l’amour, j’ai voulu te voir une dernière fois, et je suis entrée dans cette pièce où tu reposais, déjà froid et cette vision ne me quittera plus.

Ta tête fracassée malgré le casque, Ton corps disloqué !

Je me suis penchée et j’ai embrassé une dernière fois tes lèvres violacées éteintes à jamais.

Et puis, tout est allé si vite, tes funérailles le jeudi suivant.

Et puis, et puis…

Ma montre qui s’est remise en route à la sortie du cimetière, et qui a fonctionné encore très longtemps.

Un mystère que je n’ai jamais pu expliquer !

Voulais-tu tout simplement me dire que la vie existe après la vie et qu’il fallait que moi je continue de vivre ! Voulais-tu me faire passer ce genre de message ?

Je ne le saurai que le moment venu !

Il m’en a fallu du temps pour me reconstruire !

Où que tu sois, j’espère bien qu’un jour, nous nous retrouverons pour l’éternité. »

Elisabeth réalise soudain qu’elle est assise toute seule dans sa voiture. Il se fait tard et le parking se désertifie. La ville très animée en journée par sa vie économique se terre dans le silence dès que la nuit tombe. Il est temps pour elle de rentrer dans son foyer, de retrouver ses deux adorables félins qui l’attendent, avec leur tendresse animale, chaque soir. Elle essuie ses yeux, et se rabroue vertement. Quelle idée de sombrer dans ce genre de rêvasseries ! A plus de 50 ans, elle n’est pas raisonnable. Au fond d’elle-même, elle est bien consciente que les reproches qu’elle s’adresse, dissimulent une grande tristesse qu’elle garde enfouie dans un petit coin de son cœur depuis plus de trente ans.

Elle met le contact et prend la route.

Demain est un autre jour qui survivra à hier !

 

Tous droits réservés Viviane B-Brosse alias Sherry-Yanne 3 septembre 2016

Enregistré sous copyright N°00054250 avant diffusion sur internet

PHOTO INTERNET

 

Amour eternel5

Date de dernière mise à jour : 2020-01-03

  • 11 votes. Moyenne 5 sur 5.

Ajouter un commentaire

Anti-spam