LUCILE PAGES 6 à 20 (incluses)

LUCILE PAGES 6 à 20 (incluses)

LUCILE

Lucile sursaute, le souffle court et le regard désemparé, avant de réaliser qu’elle est dans son lit et qu’elle émerge d’un rêve étrange, ou pour le moins bizarre, tellement son cerveau est encore imprégné par la vision d’images précises.

Elle n’est pourtant pas du genre, à se laisser impressionner par quoi que ce soit.

Rationnelle, pragmatique, les pieds sur terre et l’esprit analytique toujours en éveil, elle fait partie de ces personnes qui ne se laissent pas « embobiner » par tous les appâts séducteurs (et séduisants) que la vie moderne propose, quotidiennement, à travers les différents médias devenus indispensable à l’individu du 21ème siècle (internet, réseaux sociaux, télévision etc.).

Ce n’est plus une perdrix de l’année et les épreuves de la vie se sont chargées de l’endurcir en lui ouvrant les yeux sur le comportement de ses congénères. Elle n’est pas vraiment misanthrope mais elle a perdu confiance dans le genre humain.

Pour ceux qui la croisent au hasard d’une rencontre, elle est une sexagénaire ordinaire, un physique moyen, une corpulence normale malgré un peu d’embonpoint, des cheveux gris argentés, un regard observateur et lucide, toujours bienveillant pour autrui, malgré sa méfiance instinctive, acquise au fil des ans, par l’expérience de la vie emportant la jeunesse insouciante, contre l’obole de la sagesse, afin de permettre à chacun de supporter la vieillesse qui s’installe inexorablement.

Lucile émerge enfin de son introspection matinale et repense au songe étrange qu’elle ressent encore, comme une aventure vécue réellement.

Comme la plupart des gens, elle ne se souvient jamais de ses rêves, au petit matin, mais celui-ci est différent et un certain malaise l’envahit peu à peu.

- « Allons, il faut que je me secoue et que je me lève. Tout cela n’a aucun sens », se dit-elle intérieurement, agacée par cette sensation qui ne la quitte plus, depuis son réveil brutal.

Dans son esprit, défile un diaporama d’images très nettes, qui la perturbent fortement.

Aurait-elle fait un voyage astral (1), se demande t’elle, car l’impression ressentie, ne ressemble en rien aux rêves habituels, ou bien serait-ce le souvenir d’une vie précédente ?

1) Le voyage astral est une expression de l'ésotérisme qui désigne l'esprit qui se dissocie du corps physique pour vivre une existence autonome et explorer librement l'espace environnant. L'expression d'expérience de hors-corps est plus récente. L'expérience se produirait en diverses occasions, notamment à l'approche de la mort, au cours d'une opération sous anesthésie, sous le coup d'une douleur intense, au cours d'une méditation, lors du sommeil profond, sous l'emprise de drogues hallucinogènes, en période de stress, lors de paralysie du sommeil.

En effet, même si les religions monothéistes condamnent le principe de la réincarnation, celle-ci n’est pas contestée par la philosophie bouddhiste. En toute objectivité, personne ne connait la vérité sur les sujets mystiques que sont la vie et la mort, en dehors du contexte scientifique qui délimite l’un et l’autre.

Lucile a du mal à comprendre le sens de ces bribes de souvenirs.

Pourquoi se voit-elle dans un pays étranger, alors qu’elle n’a jamais quitté son pays, qu’elle n’a jamais voyagé et que ses rares escapades se situent dans le décor cantalien.

Et pourtant, elle était là-bas, avec lui, le « Maître ».

Le Maître ?

Pourquoi a-t-elle dit cela ? Quel mot incongru dans sa bouche !

Elle était au milieu d’hommes et de femmes vêtus comme il y a deux mille ans, dans la lointaine Palestine, qui suivaient un homme au regard incroyablement doux, que tous appelaient respectueusement « Rabbi ».

Quant à elle, les autres la nommaient Maryam.

Le prénom Maryam en araméen ou Myriam en hébreu (voir le prénom de la sœur de Moïse) se traduit par Marie en français. Il était porté par une femme sur quatre, et il était de loin le prénom le plus répandu dans le monde juif du premier siècle.

Lucile ne peut s’empêcher de frissonner et se rabroue très vite

- « Allons bon, voilà que je me crois dans le Da Vinci Code maintenant, il va falloir que je reprenne mes esprits et que je revienne à la réalité du vingt et unième siècle ».

Pourtant les réminiscences de son rêve continuent de la poursuivre et son aventure nocturne lui revient en mémoire de manière de plus en plus précise.

Comment a-t-elle pu traverser l’espace-temps et se retrouver, suivre les traces du guide spirituel de tant de générations, du berger ramenant à lui, un troupeau de brebis perdues, de brebis égarées ?

Elle est encore sous le choc et n’a pas de réponse. Il lui faut se calmer, réfléchir et comprendre pour poser ensuite les mots dans un récit concis. Tout d’abord, elle doit boire son café matinal pour avoir les idées plus claires, ou tout au moins, les rassembler pour les mettre en place, afin de comprendre cette sensation étrange, qu’elle n’éprouve pas habituellement en sortant d’un rêve même troublant.

Les images continuent de la hanter. Elle s’assied dans son fauteuil, sa tasse dans la main. Toujours obnubilée par l’étrangeté de son ressenti, elle boit une gorgée du breuvage amer, puis repose celle-ci sur la table.

Décidée à comprendre ce qui lui arrive en cet instant matinal, elle respire profondément puis ferme les yeux afin de se rendormir, dans une sorte de sommeil hypnotique et de laisser ressurgir les images de ce songe nocturne.

Tout la ramène au Moyen Orient, plus exactement dans l’ancienne Palestine, entre la Galilée et la Judée, lesquelles étaient sous la domination de Rome, ou plus précisément de l’Empire Romain. Elle se revoit marcher au milieu d’une troupe hétéroclite suivant un prédicateur à la voix douce et apaisante. Malgré l’incongruité de ses pensées, elle ne voit pas d’autre solution qu’un voyage intemporel en Israël, à une époque où cet état en tant que tel n’existait pas malgré sa légitimité en tant que pays descendant des anciennes provinces de Judée, Galilée et Samarie.

En effet L’Éternel avait promis à Jacob que dorénavant, il se nommerait Israël, qu’il aurait une nombreuse descendance et que ses douze fils formeraient les douze nations d’Israël (Genèse, chapitre 35, extrait des versets 9 à 12).

Dans un article elle avait lu textuellement l’explication suivante.

« Parler de Palestine au temps de Jésus est un anachronisme. De nombreux sites, documents de catéchèse ou de culture religieuse, désignent la terre d’Israël au 1er siècle sous la dénomination de « Palestine », mentionnée en particulier dans les titres des cartes ou le contexte du pays où Jésus Christ a vécu. Le terme « Israël » désigne couramment dans les médias l’Etat d’Israël (créé en 1948). Au temps de Jésus, on peut parler du peuple juif et de la communauté juive, du peuple d’Israël en se souvenant que les juifs de l’époque habitent déjà en grand nombre en dehors de la terre d’Israël. Celle-ci correspond aux trois régions de la Judée, de la Samarie et de la Galilée. Le nom «Palestine», originellement celui de la zone côtière, l’ancien pays des Philistins, ne fut donné à la Judée sous l’empereur Hadrien qu’en 135, lorsque l’empire romain voulut punir les juifs de leurs révoltes.

Le mot « Palestine » est donc anachronique lorsqu’il est employé pour le temps de Jésus. Dire le « pays des juifs », « le pays de Jésus » ou encore « Israël » ou « Terre d’Israël » comme le mentionne Matthieu (Mathieu chapitre 2, verset 20), permet d’éviter d’utiliser un terme ambigu ».

(Source : Père Marc Rastoin pour Points de repère- Guide annuel 2015-2016, page 107, fiche Pourquoi et comment parler du peuple juif?).

Lucile sort de ses pensées linguistiques mais elle reste immobile, les yeux fermés, réceptive au film qui défile derrière ses paupières baissées.

- « Bienheureux les pauvres en esprit car c’est à eux qu’est le royaume des cieux, Bienheureux  ceux qui ont faim et soif de la justice car c’est à eux que miséricorde sera faite, Vous êtes la lumière du monde. Ne pensez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes. Je suis venu pour accomplir. Aimez votre prochain comme vous-même et aimez aussi vos ennemis, ceux qui vous maudissent et vous font du mal. Priez pour ceux qui vous persécutent, en sorte que vous soyez les fils de votre Père qui est dans les cieux ».

Lucile sursaute car elle connait ce discours. Elle a déjà lu des propos similaires dans la Bible, Nouveau Testament, Mathieu, chapitre 5, à travers les divers versets le constituant. Désormais elle est certaine qu’elle s’est bien trouvée dans une foule en train d’écouter Jésus prêcher pendant les trois ans qui précédèrent sa crucifixion. C’est un choc pour elle et en même temps, un grand sentiment de joie l’envahit. En effet, elle a toujours rêvé de partir en Israël, marcher sur les pas de son bien-aimé guide spirituel et ce qu’elle est en train de vivre, est pour elle une bénédiction du ciel.

Elle a tellement envie de se souvenir de ces moments incroyables qu’elle n’ose pas ouvrir les yeux et se laisse sombrer dans une sorte d’état léthargique, pour se remémorer cet incroyable transport dans un autre espace-temps.

Elle se sent désorientée, entourée de cette foule subjuguée par le prophète qui prêche, enseignant la parole de Dieu à ses disciples, « la bonne nouvelle » ou « évangile » ce qui deviendra plus tard, la référence pour tous les chrétiens du monde entier. Hommes et femmes sont assis côte à côte, ce qui semble normal au vingt et unième siècle mais qui devait être assez déroutant chez le peuple juif, où les femmes étaient reléguées dans les gynécées. Elles suivent Jésus depuis le début de sa vie publique jusqu'à sa Résurrection et l'homme de Nazareth leur donne une vraie place, ce qui constituait à l’époque une petite révolution dans un monde où l’homme avait l’unique place prédominante dans la société judaïque, elle-même constituée de courants religieux différents, les pharisiens, les sadducéens, les esséniens et les zélotes bien que celui-ci soit plutôt un mouvement politique plus que religieux.

Lucile se remémore, un article qu’elle a lu sur le journal « La Croix », concernant les réponses faites par Anne Soupa, auteur de « Dieu aime-t-il les femmes ? », aux questions posées par le journaliste du magazine chrétien catholique.

« Pour Jésus, les femmes sont des hommes comme les autres. On dit souvent qu'il « ose » s'entourer de femmes, mais c'est tout de même la moitié de l'humanité ! Il y a quelque chose de très naturel dans l'attitude de Jésus. Bien sûr, il est novateur, mais au nom de cette humanité qui a été faite homme et femme. Voilà pourquoi il lui paraît naturel de s'adresser aux hommes comme aux femmes et de s'entourer de femmes, de les écouter et de tirer profit de leur parole. Jamais Jésus ne mentionne les prescriptions d'impureté de la loi, il n'en tient pas compte. Il considère les hommes et les femmes de la même manière, ce qui est extraordinaire pour l'époque. D'autant plus qu'on n'a pas réussi à suivre par la suite, mais c'est un autre problème. Bien sûr, il y avait des discriminations dans la société juive, les femmes étaient confinées, ou plutôt affectées à la vie familiale et domestique. Mais dans ces peuples anciens qui étaient numériquement très faibles, je crois que nous modernes, aurions tort de sous-estimer la valeur de la génération, de l'engendrement, du fait de perpétuer la famille et la tribu. Un enfant était une bénédiction, il garantissait que le peuple allait s'accroître, et c'était fondamental. Je résiste toujours quand des féministes modernes ont envie de sous-estimer le fait qu'elles étaient de bonnes épouses et qu'elles tenaient leur maison. C'était fondamental ! L'histoire biblique est une histoire de familles, plus qu'une histoire de rois et de puissants. Ce sont les familles qui s'accroissent, et donc s'occuper de sa famille, c'est très valorisant. En tant qu'homme, il recherchait ce qu'il n'avait pas. Et de même ces femmes recherchaient ce qu'elles n'avaient pas. Je crois que la relation différenciée entre homme et femme a joué à plein, et c'est une réalité qu'on a encore du mal à voir dans l'Église, sous prétexte que Jésus était célibataire. Pourtant, ce célibat n'est mentionné nulle part dans les Évangiles. C'est très étrange, c'est un célibat qui est de l'ordre de l'évidence et de l'inévidence. On n'en dit rien, c'est au lecteur d'en décider. Et je crois que ce non-dit des Évangiles a énormément pesé dans l'histoire de l'Église, au point qu'il a créé une sorte de malaise et qu'on a eu peur de regarder de front les relations de Jésus avec les femmes. Elles ne sont pas de nature érotique, mais elles jouent à plein de la différence entre l'homme et la femme. Jésus a une relation très naturelle avec les femmes et en même temps elle a quelque chose d'une humanité très accomplie. Aucune des femmes que Jésus a rencontrées ne l'a renié ni abandonné, elles ont toutes entendu l'annonce évangélique, et elles forment une sorte d'Église mystique. Quelques-unes parmi ces femmes devaient avoir les moyens et avaient mis leurs biens à la disposition de Jésus, pour que le groupe ait de quoi vivre ».

Lucile repense aussi à ce qu’elle a lu sur internet ou dans divers bouquins, au sujet des différences de ces trois courants religieux ainsi que ce qui concerne le mouvement radical tant politique que religieux.

Les Pharisiens constituent un groupe religieux et politique de Juifs fervents apparu pendant la même période que les Sadducéens et les Esséniens en Palestine lors de la période hasmonéenne vers le milieu du deuxième siècle avant Jésus-Christ, en réponse à l'hellénisation voulue par les autorités d'alors. Initiateur de la Torah orale, préfigurant le rabbinisme, ce courant s'inscrit dans le judaïsme du Second Temple, dont il influence l'évolution.

Les sadducéens sont les membres d'un des quatre grands courants du judaïsme antique de l'ancienne Judée (avec les pharisiens, les esséniens et les zélotes), entre le deuxième siècle avant Jésus-Christ et le premier  siècle. Les sadducéens qui se recrutent essentiellement dans l'aristocratie sacerdotale, sont en opposition totale avec les pharisiens et semblent en opposition avec les esséniens. Ils sont décimés par les zélotes et les sicaires lors de la Première Guerre judéo-romaine. Les sadducéens se distinguaient des pharisiens notamment sur la question de la résurrection des morts.

Les esséniens sont un mouvement du judaïsme de la période du Second Temple qui a prospéré à partir du deuxième siècle avant Jésus-Christ et dont l'existence est attestée au premier siècle en Judée. Le philosophe et chroniqueur judéo-alexandrin Philon et l'historien judéo-romain Josèphe rapportent qu'il existait des esséniens en grand nombre, et que plusieurs milliers vivaient dans la Judée romaine. Pour Flavius Josèphe, les esséniens sont la «troisième secte» de la société juive de Palestine, avec les pharisiens et les sadducéens. Il décrit les esséniens comme des communautés d'ascètes, volontairement pauvres, pratiquant l'immersion quotidienne et l'abstinence des plaisirs du monde. Les esséniens ont acquis une renommée dans les temps modernes à la suite de la découverte, à partir de 1947, d'un vaste groupe de documents religieux connus sous le nom de «manuscrits de la mer Morte», dont une centaine pourraient être esséniens.

Les Zélotes sont les membres d'un mouvement politico-religieux juif du premier siècle. Les Zélotes incitent le peuple de la province de Judée à se rebeller contre l'Empire romain et l'expulser par la force des armes. Ils ont joué un rôle de tout premier plan pendant la Grande révolte juive (66-70) qui a abouti à la destruction du Temple de Jérusalem. Le déroulement de la première guerre judéo-romaine est essentiellement connu grâce aux ouvrages de l'historien juif Flavius Josèphe. Jusque dans les années 1960, les Zélotes étaient considérés comme l'unique mouvement révolutionnaire juif qui mène la guerre contre les Romains. Le terme englobe l'ensemble des forces juives qui cherchent à se libérer de Rome. Le terme de Sicaires, également employé par Josèphe lorsqu'il parle des révolutionnaires juifs, est considéré comme un synonyme de Zélotes ou une tendance extrémiste au sein du mouvement.

Lucile se laisse envahir par les souvenirs nocturnes, elle se sent transportée ailleurs.

Où est -elle ?

Une foule est réunie auprès d’un fleuve, Le Jourdain. Elle distingue un homme vêtu d’une sorte de tunique en poil de chameau et d’une simple ceinture. Tout le pays de Judée le connait.

La Lucile du vingt et unième siècle ne se pose même plus la question de savoir, si elle revit une vie antérieure ou si elle a été projetée dans l’espace-temps. Elle ressent les choses différemment et se sent complètement immergée dans le personnage de Maryam, une Maryam fascinée par les paroles de celui qui deviendra universellement le Christ, même si le terme est un anachronisme au moment où elle vit les évènements bibliques.

Lucile ou plutôt Maryam, jeune femme juive de son temps, entre vingt et trente ans, veuve, aisée financièrement, relativement libre de gérer sa propre personne, du fait de sa position de veuve n’ayant pas besoin d’être chaperonnée, vivant en l’an trente de l’ère moderne, se souvient de cette première rencontre avec le messager divin. Elle avait su à ce moment-là que sa vie d’avant s’arrêtait à cet instant précis et qu’une nouvelle vie allait commencer pour elle.

 

******************

 

(Pages 6 à 20 sur un ouvrage de 222 pages)

 

*********************

 

Tous droits réservés Viviane B-Brosse alias Sherry-Yanne

L'ÉTRANGE RÊVE DE LUCILE 

ISBN 979-8-85478-762-8

Copyright 00067596-7

 

 

*******************

 

Copyright black en

 

Couverture l etrange reve de lucile recto

 

Couverture l etrange reve de lucile verso

 

 

Date de dernière mise à jour : 2023-09-14

  • 5 votes. Moyenne 5 sur 5.

Ajouter un commentaire

Anti-spam