RENCONTRES ANCESTRALES OU VOYAGES INTEMPORELS (CHAPITRE 6)
CHAPITRE 6
ANTOINETTE ET JOANNY EN 1935
Difficile de choisir entre les uns et les autres et Viviane se demande quelle pourrait être sa prochaine destination « au pays de ses ancêtres ».
Elle a déjà rencontré Claudia, Marie, Albert et Jean-Marie, ses grands-parents, ainsi que Claude, Marie-Anne, et Perrine, certains de ses arrière-grands-parents. Ces rencontres l’ont amené en France en 1927, 1945, 1925, 1900 et 1891.
Incertaine sur le choix de son prochain voyage, elle ouvre son ordinateur pour consulter son arbre généalogique, et chercher lequel de ses autres bisaïeux, pourrait l’inspirer, entre Jean-Pierre, Joanny, Antoinette, Pierre ou Francine.
Son écran affiche la photo agrandie d’Antoinette, en noir et blanc, laissant deviner une chevelure claire, sans doute blonde, des yeux bleus ou verts, un regard limpide figé pour l’éternité.
Viviane se dit qu’elle est morte bien trop jeune, puisqu’elle est décédée 24 jours avant son 56ème anniversaire. Même si cela est un pur hasard, le jour du décès de cette bisaïeule correspond au jour de naissance de son propre enfant défunt et la coïncidence est le déclic qui lui indique sa prochaine destination.
Elle va s’aventurer en 1935, pour croiser les pas des grands-parents maternels de sa mère, au sein de leur demeure à Saint Romain en Jarez.
En cette année 1935, le président de la République française est Albert Lebrun, élu le 10 mai 1932, en suite de l’assassinat de Paul Doumer, trois jours plus tôt par Paul Gorgulov (Gorguloff), un russe émigré en France depuis 1930.
Paul Doumer avait été élu le 13 juin 1931, soit à peine onze mois avant sa mort violente.
Conformément aux lois en usage en France à cette époque le « régicide » (un président de la République exerçant la plus haute fonction du pays, peut être assimilé à un roi), a été guillotiné le 14 septembre 1932.
La première guerre mondiale est terminée depuis 17 ans et personne ne pense encore que dans seulement 4 ans, le monde entier redécouvrira l’horreur d’un nouveau conflit qui durera 6 ans et fera définitivement entrer le 20ème siècle dans l’horreur la plus totale, où l’humain sera capable des actes les plus abjects qui puissent exister, montrant ainsi sa face cachée et impitoyable.
Mais en 1935, personne n’ose vraiment y penser même si des échos dramatiques par parviennent d’Allemagne, depuis qu’un nouveau chancelier du Reich a été élu le 30 janvier 1933, ouvrant la porte à un avenir effroyable pour toute l’Europe et la volonté de destruction de tout un peuple, du fait de ses origines et de sa religion. En quelques mois, Adolf Hitler, le fondateur et chef du parti national socialiste (NSDAP) installe sa dictature en Allemagne, dans le but de prendre un pouvoir totalitaire sur tout le pays. Les douze années suivantes verront la destinée de cette nation, étroitement liée avec cet homme dangereux qui restera dans les annales historiques comme un des pires monstres de l’Histoire avec un grand H.
Pourtant à ce moment-là en France, personne n’y prête encore trop attention, même si certains sont inquiets de l’avenir qui se dessine à l’horizon.
Saint Romain en Jarez est un petit village rural et les soucis quotidiens de ses habitants sont plutôt dus aux saisons et à leurs intempéries qui peuvent nuire aux récoltes, lesquelles déterminent les revenus d’une population majoritairement paysanne.
Au niveau local, le maire de la commune est Jean Marie Joly, élu aux élections municipales de ce printemps 1935, remplaçant Jean Marie Bonjour, aux commandes de la commune depuis 1888, sans doute le mandat communal le plus long de tous les édiles saint-romanaires.
Viviane récite la formule magique, son laissez-passer intemporel,
« Mon beau miroir du temps qui passe,
Avant que ma vie ne trépasse,
Guide-moi à travers les âges,
Par la volonté du vieux mage. ».
Et la voilà dans la maison familiale de ses arrière-grands-parents.
Septembre vient de s’achever et octobre commence doucement.
La maisonnée est silencieuse.
Antoinette est alitée et Joanny son mari se tient auprès d’elle.
Mon Dieu, comme elle est pâle !
Viviane sait qu’il lui reste trois jours à vivre et son cœur se serre, en pensant à elle et à son époux qui devra bientôt porter le deuil d’une épouse aimée.
Tous les deux tournent la tête dans sa direction, et l’expression de leurs visages reflète la surprise la plus totale, en voyant cette apparition venue du futur.
- Bonjour à vous mes chers arrière-grands-parents, je suis la petite-fille de Marie, votre fille unique, et donc votre arrière-petite-fille. Même si cela vous semble improbable, je viens du futur pour rencontrer brièvement certains de mes ancêtres, à travers l’espace-temps, ce qui est sans doute incompréhensible pour vous.
Antoinette ne répond pas, sans doute trop faible, et sachant au fond d’elle que ses jours sont comptés.
Par contre Joanny réagit vivement
- Qu’est-ce que vous me chantez là ? Qui êtes-vous et comment avez-vous pu entrer dans notre maison ?
- Je dis la vérité, je ne viens pas de l’extérieur de votre maison et je ne suis pas de votre époque. La mienne se situe dans un futur que vous ne connaîtrez pas, car actuellement je vis au 21ème siècle et j’ai 63 ans.
Joanny reste abasourdi mais Viviane croit voir une lueur briller dans l’œil d’Antoinette. Se sentant condamnée, elle a peut-être une autre vision de ce qui est possible ou pas et ses certitudes se sont émoussées face à la mort qui rôde près de son lit.
Viviane reprend la parole
- Je ne vais pas raconter le futur, car ce n’est pas le but de ma visite mais je vous connais un peu à travers mes recherches généalogiques. Je sais par exemple que vous vous êtes mariés en 1906, et c’est sans doute lors de votre mariage que Simon le frère de grand-mère Antoinette a rencontré Jeanne Marie, la sœur de grand-père Joanny, car ils se sont mariés deux ans plus tard en 1908, et je pense qu’il a du en être de même pour François autre frère de grand-mère Antoinette car en 1910 il a épousé Jeanne Marie, cousine germaine de grand-père Joanny. Vous n’avez eu qu’une fille Marie, ma grand-mère maternelle et je me suis toujours demandée si grand-mère Antoinette, étant l’ainée des filles d’une fratrie de treize enfants, ce qui sous-entendait une charge familiale importante reposant sur ses épaules pour aider son père et sa mère, n’avait pas choisi par réaction de n’avoir qu’un enfant unique mais bien entendu, ce n’est que mon ressenti et le destin en a peut-être décidé autrement, vous privant de l’héritier mâle que vous deviez attendre avec ferveur, comme toutes les familles d’antan.
Joanny est de plus en plus interloqué et ne décroche pas un mot. Antoinette, quant à elle, sourit douloureusement mais affectueusement à cette inconnue qu’elle devine être réellement sa descendante.
- Effectivement, cela fait 29 ans que Joanny et moi nous nous sommes unis pour le meilleur comme pour le pire. Nous ne fêterons jamais nos 30 ans de mariage et malheureusement, le pire, nous l’avons rencontré tellement souvent. En 1914, quand il est parti loin de moi, qu’il est resté quatre ans dans ses maudites tranchées, seul ayant la faim, le froid et la peur qui lui tenaillaient le corps, et moi ici, bataillant pour faire marcher notre ferme, m’occupant de mon ménage, des bêtes et des champs, tout en élevant notre fille, sans savoir ce qui nous attendait le jour suivant.
Et puis il est revenu de la guerre, deux doigts en main, ce qui n’était pas pratique pour travailler. Heureusement la nation lui a été reconnaissante de son sacrifice pour sa patrie, et lui a versé une pension pour ses doigts perdus. Cette guerre m’a aussi enlevé un de mes jeunes frères morts dans le Nord, six jours avant l’armistice de 1918. Il n’avait que 26 ans. Quel gâchis ! Dieu merci, nos parents n’ont pas eu la douleur de le voir mourir. Ils étaient décédés avant lui. Et maintenant me voilà alitée et je sais que je n’en ai plus pour longtemps. J’attends Monsieur le Curé pour me confesser et recevoir les sacrements de l’extrême onction. Je suis un peu plus jeune que toi. Je vais avoir 56 ans fin octobre et pourtant mon heure a sonné.
Viviane relève que c’est la seule de ses ancêtres qui l’a tutoyée, alors qu’elle-même est plus âgée qu’eux lors de leurs rencontres. Elle se dit qu’Antoinette étant plus proche du céleste que du terrestre, avait senti au fond de son cœur, qu’elle était vraiment issue de son sang.
Joanny reste muet mais ses yeux sont embués de larmes qu’il dissimule par pudeur. Il ne parlera pas pour l’instant car il est submergé par le chagrin qui l’attend prochainement, alors Viviane préfère leur dire adieu, avec toute la tendresse qui l’envahit en les voyant dans cette douleur silencieuse mais si palpable.
Elle les serre dans ses bras, puis prononce les mots magiques qui la ramène au 21ème siècle.
Le 3 octobre Antoinette rejoindra ses ancêtres entourée de l’amour de son époux, de sa fille, et de tous ses proches. Viviane ne peut pas s’empêcher de penser que 51 ans plus tard, un 3 octobre, elle mettra elle-même au monde un petit garçon, qui lui sera cruellement enlevé quatre mois plus tard, emporté par la dame à la faux qui se moque bien que l’on soit bébé, pépé ou mémé, pourvu qu’elle puisse remplir son panier d’âmes.
Viviane est vraiment très émue et quelques jours vont lui être nécessaires pour amortir le choc d’une rencontre aussi intense, comme cela avait déjà été le cas lors de sa rencontre avec Albert, deux jours avant son décès en novembre 1945.
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Tous droits réservés En cours depuis juillet 2022
Viviane B-Brosse alias Sherry-Yanne
Extrait du manuscrit en cours RENCONTRES ANCESTRALES OU VOYAGES INTEMPORELS
Copyright N°00067596
Publié sur mon site personnel sherryyanne.com le 20 décembre 2022
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