ELISA AU TEMPS PRÉSENT (pages 8 à 12)

ELISA AU TEMPS PRÉSENT (pages 8 à 12)

Elisa

Au temps présent

Elisa sort du cimetière, le cœur lourd, la démarche pesante, incertaine, comme si son corps ne pouvait plus la porter.

Elle ne peut s’empêcher de penser que tout est fini et que toutes ces années de combat n’ont servi à rien.

Il repose désormais ici, dans un caveau froid.

Son fils ne rentrera pas avec elle.

Nathan est mort, mort et enterré.

Certains vont lui dire que la vie continue mais qu’en sera-t-il de sa vie désormais ?

Comment continuer à vivre, en étant amputée d’une partie d’elle-même, de la chair de sa chair ?

Et pourtant, cet enfant qu’elle a porté à bout de bras, pendant trente ans n’a été que soucis pour elle, une bombe à retardement, destructrice de sa santé mentale et physique.

Elle est enfermée dans sa douleur.

- « Maman, attends-moi, je vais chercher la voiture ».

Elle se retourne et sourit douloureusement, en apercevant son fils survivant, Landry, jumeau de Nathan.

Le pauvre est lui-même effondré, mais il essaie de garder bonne contenance, pour ne pas alarmer sa mère.

Il a lui-aussi soutenu son frère depuis qu’ils étaient tout petits.

Tous deux s’éloignent de ce lieu, où le silence se referme sur les morts, l’oubli protecteur veillant à jamais sur le sommeil des défunts.

Nathan ne souffrira plus.

Nathan ne boira plus.

Nathan dort dans le caveau familial, sous la protection de ceux l’ayant précédé dans ce voyage, le dernier que tout vivant ne peut rater.

L’endroit est paisible, presque reposant.

Silencieuse, ombre discrète, elle attend impassible, devant l’entrée du cimetière.

Une femme et une enfant s’arrêtent pour l’embrasser, les yeux embués de larmes.

Elle essaye de sourire à Melinda, l’ex-épouse de Nathan et à sa petite fille Daphné, bouleversée d’avoir dit adieu à son papa.

Une vague d’émotion, la submerge et elle se détourne pour ne pas s’affaler par terre.

A ce moment une voiture s’approche d’eux et ralentit. Au volant, Juliette, femme de Landry et leur fils Alban. Elle se gare sur le côté et les rejoint.

Il est temps pour eux de rentrer et d’apprendre à vivre sans Nathan, ce fils et frère, qu’ils ont tant aimés mais qui leur a apporté plus de chagrin que de joie, tout au long d’une existence soumise à ces addictions, le faisant continuellement replonger, entraînant chaque fois des drames familiaux.

Elisa et Landry échangent un regard rempli de tristesse et d’amertume.

Elle sait que ce fils, le seul qui lui reste dorénavant, ressent la même chose qu’elle, une grande souffrance intérieure mais aussi une sorte d’apaisement, pour ne pas dire de sérénité. Elisa sait que malgré la douleur du deuil, elle va pourvoir dormir enfin, sans crise d’angoisse, sans insomnie, sans malaise nocturne, sans douleur cardiaque. En fait, elle ne sait même plus depuis combien de temps, elle n’a pas dormi du sommeil du juste.

Il est temps pour eux de reprendre le cours de leur vie, de se réadapter au regard des autres, ce regard parfois compatissant, parfois accusateur, souvent hypocrite, ce qui est pire encore.

Il est temps d’apprendre à penser à elle car elle est déjà à l’automne de son existence. Il est aussi temps pour Landry, de penser à sa propre famille qui a besoin de lui. Il est également temps, pour Melinda et Daphné, de se reconstruire, en oubliant les mauvais penchants de l’être absent, pour ne se rappeler que des moments de tendresse partagés ensemble.

Nathan n’est plus, mais l’amour pour lui survivra par-delà les frontières de la mort

De retour chez elle, Elisa relâche enfin la tension qui lui permettait de rester stoïque, pour ne pas afficher sa souffrance, en public, par pudeur. Une maîtrise de soi, qui est devenue un trait de sa personnalité, au fil du temps !

Seule dans l’appartement vide, elle craque enfin, déversant un torrent de larmes, suffoquant, ne pouvant plus respirer, elle met la main devant sa bouche, pour ne pas hurler comme une bête à l’agonie.

La douleur est trop violente.

Elle lui noue le ventre, lui arrache les tripes, son cœur est en lambeaux.

Une fois calmée, elle se prépare une tasse de tisane de tilleul avec du miel, s’assied dans son fauteuil, après avoir mis le « Requiem » de Mozart, sur son lecteur de CD.

Pelotonnée sous un plaid, elle ouvre enfin la boîte des souvenirs, ceux qu’elle a stockés dans son coffre-fort mémoriel.

Nathan revit dans ce coin secret que personne ne pourra lui enlever.

Il revit dans l’éternité de sa mémoire, et de son amour maternel pour lui, il revit à jamais.

Couverture un dernier verre pour la route recto

Copyright black en

Date de dernière mise à jour : 2024-03-27

  • 2 votes. Moyenne 5 sur 5.

Ajouter un commentaire

Anti-spam